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Apprendre à désapprendre

Dernière mise à jour : 15 janv. 2020


Casser les codes, prendre des risques, le processus créatif est composé d'un certain nombre d'étapes fondamentales. À l’heure où l’entreprise se repense et place la créativité et l’innovation au centre de ses préoccupations, il est temps d’identifier clairement ces phases. Chercher à doper la créativité des équipes c'est bien, mettre en œuvre un environnement favorable pour son développement, c'est mieux.

Les récentes études neuroscientifiques menées sur la créativité distinguent quatre phases distinctes : Imprégnation, divergence, convergence et enfin évaluation.

Bien avant les scientifiques, les artistes ont exploré le processus créatif. Leurs œuvres nous offrent un support ludique et fédérateur pour comprendre son déroulement.


Immersion immédiate dans l'œuvre de Pablo Picasso, Le Taureau, 1946.



Maître absolu de la créativité, visitant et revisitant des dizaines de fois un même motif, Pablo Picasso (1881-1973) a su créer une œuvre unique et innovante à chaque proposition. Artiste prolifique par excellence avec à son actif 11748 dessins, 1185 peintures, 1228 sculptures auxquels on peut ajouter les lithographies, les gravures et les céramiques, il a contribué à nombre d'inventions esthétiques de son temps. Il n’est pas étonnant par exemple que l'Apple University s'appuie sur ses travaux pour former ses futurs designers.


De décembre 1945 à janvier 1946, l’artiste travaille sur une lithographie. Il a en tête de représenter un taureau. Avant d’atteindre son objectif, il a produit 11 « états » - ou phases de travail – à raison d’une proposition tous les 8 jours environ. Ces 11 états n’étaient pas destinés à être montrés, exposés ou vendus. Aujourd’hui, ils représentent une façon d’entrer dans la tête de l’artiste, de suivre son processus de création et d’identifier les phases par lesquelles il est passé pour aboutir à son œuvre finale.


Phase 1 : L'imprégnation ou le "désapprendre"


Les 3 premiers états de la lithographie Le Taureau correspondent à la première phase du processus créatif : l’imprégnation.


État 1

Picasso propose d’abord un taureau parfaitement fidèle à la réalité. Les lignes de force construisent dès le départ la composition. Elles sont la base sur laquelle s’appuie l’artiste pour ensuite chercher, tâtonner, se tromper, revenir et finalement créer et innover.




État 2

Dans le 2ème état, Picasso se permet l’erreur. Parfaitement conscient du déséquilibre des volumes, il commence à désapprendre






État 3


Le 3ème état est l’affirmation radicale des lignes qui domineront le reste des recherches. Par exemple, l’oreille qui était suggérée auparavant occupe ici une nouvelle fonction graphique.







Ce que l’artiste nous apprend :

Posés côte-à-côte, ces 3 premiers états sont étonnants. Le premier pourrait apparaître comme l’œuvre finale tant il est abouti. Mais c’est sans connaître le cheminement de pensée de l’artiste, ni son objectif.


Au cours de la phase d'imprégnation, il s’agit de :

- Poser l’objectif et identifier les problématiques

- Rassembler l’ensemble des ressources disponibles

- Noter toutes les idées sans aucune censure


"J'ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant" Pablo Picasso

Picasso, formé dès ses 14 ans à l'Académie royale de Madrid, maîtrise parfaitement les codes de la peinture classique. Dans ce premier état, il rassemble les ressources en représentant un taureau dans les règles de l'art. C'est son point de départ pour ensuite prendre des risques. À partir du deuxième état, il commence à désapprendre. Il va se permettre toutes les dérives, toutes les options, quitte à se contredire et à se tromper. Dans le troisième état, il affirme certaines pistes comme indispensables à la composition et continue à désapprendre en interrogeant les codes académiques.


Et appliqué à l’entreprise ?

Qu’il s’agisse de lancer un nouveau produit, de créer un nouveau process de travail, de mettre en place une campagne de communication, peu importe : il faut faire preuve de créativité pour se différencier.

Cette phase d’imprégnation, ou du désapprendre, est fondamentale. Elle correspond au premier passage de l’idée au projet. Confronter l’idée à la réalité peut être laborieux, voire décourageant, car il faut accepter l’erreur. Mais l'erreur doit ici être perçue comme une opportunité pour ouvrir le champ à l'innovation.


- Poser l’objectif et identifier les problématiques

Poser l’objectif peut paraître superflu. Or rappeler l’origine du projet, la fonctionnalité première d’un concept, d’un process, d’un produit est essentiel. Poser la question du pourquoi plutôt que du comment. Le comment, c’est la technique. Le pourquoi, lui, redonne du sens.

- Rassembler l’ensemble des ressources disponibles

Une fois que l’on sait ce que l’on souhaite développer, que l'objectif est clairement énoncé, identifier toutes les contraintes, les avantages et opportunités à disposition : compétences techniques et/ou non techniques, ressources documentaires, partenaires…

- Noter toutes les idées sans aucune censure

Chacun.e peut exprimer spontanément ce qui lui traverse l’esprit. Chaque idée, même loufoque, a sa place. Il est intéressant de mettre ensemble des services différents lors de cette étape, la diversité des regards contribue à envisager les choses autrement.


La phase d’imprégnation est plus productive en équipe. Il est recommandé de mettre en place une réunion consacrée à la définition commune des objectifs initiaux, à la mise en commun de toutes les ressources et, pour finir, à la libre parole et à la spontanéité.

Phase 2 : La divergence - Désacraliser et transgresser


Après la phase d’imprégnation une deuxième étape intervient, celle de la divergence, une étape fondamentale parce qu’elle amène à penser en dehors des évidences, « Out of The Box », à adopter la pensée oblique pour initier un changement en profondeur, à être en rupture avec ce qui existe.


Les états 4 et 5 de la lithographie Le Taureau de Picasso, correspondent à cette deuxième phase, celle de la désacralisation et de la transgression.


Picasso continue le découpage de l’animal en gardant en tête son objectif initial : représenter un taureau dans sa forme la plus essentielle, épurée.


État 4

Le découpage amorcé avec le 3e état s’intensifie et les formes se font plus schématiques. On reconnaît à cette étape la « patte » de l’artiste.









État 5

Nous entrons ici dans un nouvel espace de création. Les explorations amorcées dès le 1er état font l'objet de choix et des propositions risquées sont tentées.

La tête reste un point d'achoppement pour l’artiste.







Ce que l’artiste nous apprend :

Ici la transgression s’affirme dans l’état 4 et la désacralisation dans l’état 5. Picasso transgresse toutes les règles du dessin en entrant dans la schématisation, en laissant apparentes ses recherches de volumes.

Il désacralise ensuite en osant le déséquilibre des volumes, en montrant ce qu’il ressent plutôt que ce qu’il voit. Il rejette les règles qui régissaient la perception de l’espace et les proportions naturelles pour représenter les corps.


Cette phase de divergence consiste à :

- Intégrer le ludique dans le processus

- Imaginer l’inverse de ce que l’on a toujours fait

- Lâcher prise


"Pour frayer un sentier nouveau, il faut être capable de s’égarer" Jean Rostand

C’est en s’éloignant de l’objet et en faisant entrer un esprit ludique que les idées rassemblées au cours de la phase d'imprégnation vont s’organiser. Picasso joue avec les lignes et les formes, va à l’encontre des règles préétablies et s’éloigne radicalement du premier état.


Et appliqué à l’entreprise ?

Au cours de cette phase, il n'est pas rare d'avoir la sensation de « bloquer ». Pourtant, il est fondamental de laisser « le travail se faire seul », faire des analogies et puis produire l’idée, le fameux « Eureka ! ».


Pour dépasser cette phase, il est recommandé de :

- Intégrer le ludique dans le processus

Les multiples sessions de teambuilding, aussi originales les unes que les autres, participent à ce processus. Bien cibler l’activité permet évidemment de souder les équipes, mais aussi de dépasser cette phase de divergence.

- Imaginer l’inverse de ce que l’on a toujours fait

Par le jeu, la nature des échanges prend une autre tournure. Penser à rebours est un moyen de « dénouer » inconsciemment certaines situations.

- Lâcher prise : C’est le bon moment pour organiser une soirée en équipe et accueillir des intervenants issus d’univers variés et/ou éloignés.


Cette phase de divergence est une étape difficile à mettre en place en entreprise. Le désapprendre et le ludique sont l’exact l’inverse de ce à quoi nous sommes formés : des gestes spontanés lorsqu’on est enfant qui deviennent le résultat d’un travail conscient une fois adulte. Il ne s’agit pas d’infantiliser le processus, mais d’accepter que le ludique en fait partie. C’est au nom de cette phase de divergence que l’on a vu apparaître dans nombre d’entreprises des baby-foot, consoles de jeux et espaces de divertissement pour les équipes. Si ces solutions peuvent être efficaces, elles ne sont pas suffisantes. Le respect des quatre phases est nécessaire à l’émergence de la créativité : l’une ne va pas sans l’autre.

La phase de divergence est l’occasion d’explorer d’autres univers. Changer de lieu est un bon moyen d’être plus réceptif à sa propre créativité. On peut juste changer de cadre, partir à la campagne, se laisser inspirer par un musée, aller à la rencontre d'autrui, etc.

Phase 3 : La convergence - Simplifier et épurer


Aux deux premières phases du processus créatif – imprégnation et divergence – qui consistaient à poser l’objectif en réunissant les ressources nécessaires et formuler les idées en permettant la transgression des règles, succède la phase de convergence. Rationalisation et planification entrent en jeu.


Les 6e et 7e états sont l’illustration de cette opération de simplification des formes, premier tri dans les idées explorées dans les étapes précédentes.


Picasso continue sa recherche du « taureau absolu ». Les explorations des étapes précédentes vont commencer à prendre corps. Le jeu prend fin, le sérieux réintègre la partie. De quelle manière ? A quelles fins ? Continuons notre plongée dans l’œuvre.


État 6

Picasso opère un changement radical : pour la 1ère fois la queue et les sabots sont « attaqués ». Les lignes de forces s’imposent comme « murs porteurs » de l’ensemble de la composition. Cette 6e étape nous révèle la recherche de simplification et d’épure des lignes.





État 7

Cette fois, la stylisation des lignes se confirme. Picasso efface, supprime, écrase. Il ajoute, construit, élabore. Des courbes sont ajoutées dans une recherche d’équilibre, de même que les creux et les pleins.






Ce que l’artiste nous apprend :

L’essentialisation des formes et des lignes que Picasso propose dans les états 6 et 7 nous renseigne sur l’objectif initial : représenter un taureau dans sa forme la plus épurée. L’artiste entre maintenant dans une phase radicalement différente. Il pose son plan d’action pour atteindre l’objectif. Les lignes de force posées dès le départ sont ici déclarées essentielles. Les volumes sont encore des zones de recherches, mais s’affirment dans la simplification des lignes.


Au cours de la phase de convergence, on observe :

- L’affirmation des fondements

- La rationalisation des recherches précédentes et la sélection des idées

- La transformation des idées en solution


"La créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse" Albert Einstein

« Choisir, c’est renoncer » ; le choix de certaines lignes, de certains volumes plutôt que d’autres correspond à l’affirmation de pistes envisagées dès le départ.


Et appliqué à l’entreprise ?

Cette étape correspond au croisement des phases d’imprégnation et de divergence. Les idées exprimées librement, qui ont fait l’objet de recherches, de prise de risques et de tentatives audacieuses au cours des deux phases précédentes, font l’objet d’un premier tri. C’est l’étape où le plan d’action s’élabore et les solutions s’esquissent. Cela peut poser le problème de la frustration puisque décider, c’est renoncer. Il est donc fondamental de rappeler l’objectif, d’identifier les contraintes et de réévaluer les ressources disponibles.


- Affirmation des fondements : revenir à l’objectif pour produire des solutions adaptées et vérifier si elles répondent bien à la question initiale.

- Rationalisation des recherches précédentes et sélection des idées : opérer un tri dans les idées énoncées lors de la phase d’imprégnation. Cette sélection des idées est au croisement de l’objectif posé, des recherches effectuées et des idées transformables en solution. Il est essentiel d’arbitrer non en fonction de ses propres préférences, mais par rapport aux besoins des utilisateurs finaux.

- Transformation des idées en solution : identifier et planifier les actions à mettre en œuvre pour la réalisation, la concrétisation des idées en solution.


On l’a dit, cette phase de convergence est au croisement des deux étapes précédentes. Le point clé du processus créatif, c’est de séparer très distinctement la divergence et la convergence et de ne jamais mélanger les deux. En phase de convergence, on se réfère aux objectifs, on améliore les idées, on juge constructivement, on cherche l’inédit et on est déterminé. Il est recommandé de se réunir à nouveau dans un cadre sérieux afin de rappeler les fondamentaux pour ensuite opérer un filtrage rationnel dans les idées énoncées.

Cette phase est l’occasion de remettre au centre de la table les ressources disponibles, les contraintes identifiées. Cela permettra ensuite de poser le plan d’action pour transformer les idées en solution.


Phase 4 : L'évaluation - Créer, innover


Quatrième et dernière phase du processus créatif, l’évaluation. C'est l'étape de l’expérimentation des idées, celle de la création, de l'innovation. Le premier tri effectué au cours de la phase de convergence se fait plus sélectif, les choix sont plus audacieux et orientés vers l’efficacité, tendent à rejoindre de plus en plus précisément l’objectif.


Après presque 2 mois de recherches, Picasso s'approche de son objectif avec les 8e et 9e états : un taureau dans sa plus simple expression formelle qui conserve la puissance de l’animal.


État 8

Avec ce 8e état, la tête, objet de recherches depuis les toutes premières étapes, retrouve une part de figuration. La queue qui occupe une nouvelle place depuis la phase de convergence fait encore l’objet de nouveaux tâtonnements.







État 9

Cette fois les pleins disparaissent complètement. On assiste ici à l’affirmation assumée de la fonctionnalité des lignes de force testées dès les premiers états. On entre dans la suggestion en s'éloignant de la figuration.







État 10

Le trait unique, moyen utilisé par l’artiste pour suggérer, est choisi comme moyen de représentation. Les détails qui pouvaient apparaître comme essentiels dans les premières phases ont été éliminés, « détruits » sans que la représentation d’un taureau n’en soit entamée.





Ce que l’artiste nous apprend :

Le tri entamé lors de la phase de convergence se radicalise. L’artiste a opéré des choix pour atteindre son objectif : représenter un taureau dans sa forme la plus simplifiée, tout en exprimant sa puissance. La sélection dans les idées est effective.

Picasso a évalué la nécessité de conserver ou de supprimer certaines idées. Son choix est passé par l’expérimentation. Faire des choix c’est renoncer. Ici l’artiste renonce à certaines explorations parce qu’il garde continuellement son objectif en tête. Les multiples idées explorées ont été des appuis pour avancer vers l’objectif. Celles qui ne sont plus justifiées sont supprimées.


Cette 4ème et dernière phase du processus créatif est celle de l'évaluation :

- Retour à l’ADN du projet

- Tri les solutions identifiées et expérimentation

- Sélection les plus essentielles et surtout les plus efficaces


"Un tableau était une somme d’additions. Chez moi, un tableau est une somme de destruction" Picasso

Et appliqué à l’entreprise ?

La phase d’évaluation doit être menée avec méthode. A nouveau poser l’objectif au centre des préoccupations est le meilleur repère pour ne pas s’éloigner. Effectuer une sélection finale des solutions à partir de questions pragmatiques telles que : en quoi répondent-elles au problème ? Quelle est leur faisabilité ? Quel est leur coût ? Quels sont les avantages et limites de chacune ?



Voici au 11e état, l’œuvre finale, achevée. Le taureau, pourtant réduit à quelques traits est ici reconnaissable au premier regard. Un taureau réduit à l’essentiel, efficace, on pourrait dire « fonctionnel ». Les traits choisis par Picasso sont les « traits clefs » pour permettre au regardeur de reconnaître intuitivement un taureau, sans aucun élément figuratif.


Être créatif et innovant c’est savoir s’adresser à l’intuition. L’innovation consiste d’une certaine façon réinventer ce que tout le monde a oublié.


"Nous n’avons rien inventé" Picasso, 1940 - en sortant des grottes de Lascaut


 

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